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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

l’évacuer, il me parut — si toutefois la chose était possible, — plus exaspéré encore, le lendemain au matin, qu’il ne l’était la veille au soir.

Ce n’était pas seulement un officier du 3e régiment qu’il voulait tuer ; c’était, comme Han d’Islande, tout le régiment qu’il voulait anéantir.

Croyant voir, dans cette monomanie de meurtre, un commencement de folie, je lui parlai de son mélodrame.

Alors, l’homme changea de face ; c’était dans le but d’apporter quelque soulagement à sa vieille mère qu’il avait fait ce drame ; toute une année d’espoir, de bien-être reposait sur cette œuvre. Si je ne la gardais pas pour la relire, si je ne consentais pas à la retoucher, ou tout au moins si je ne lui donnais pas des conseils pour qu’il la retouchât, il sentait bien que, comme elle était incomplète, que, comme il était impossible qu’elle fût jouée ainsi, elle serait refusée, et, le drame refusé, adieu cet espoir, douce lueur qui un instant avait éclairé le fils et la mère !

Je promis de relire le Chiffonnier, et de faire mon possible pour qu’il arrivât à bonne fin.

Après quoi, j’invitai l’auteur à déjeuner.

Nous nous quittâmes vers midi ou une heure. Il allait au Théâtre-Italien chercher une stalle qui lui revenait comme rédacteur de je ne sais plus quel journal.

On jouait, le soir, la Gazza ladra.

Moi, j’avais, le même soir, avec une très-jolie femme que j’avais connue chez Firmin, et qui jouait les Mars en province, un rendez-vous où il fut question de choses si intéressantes, que je ne rentrai chez moi que le lendemain, vers midi.

Mon domestique me dit que le jeune homme qui, la veille, avait déjeuné avec moi était venu pour me parler, à sept heures du matin, et avait paru très-contrarié de ne pas me trouver à la maison.

Il avait demandé du papier et une plume, et avait écrit quelques mots.