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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

calme, et même dédaigneuse, d’un grand peuple qui connaît ses droits, sent sa force, et restera fidèle à ses devoirs !

C’était, à dix mois de distance, prophétiser l’association bretonne, le refus de l’impôt, et la révolution de juillet.

La relation du voyage du général fut imprimée et vendue à cent mille exemplaires.

« Jupiter aveugle ceux qu’il veut perdre. »

La monarchie était bien aveuglée !

Un des journaux du pouvoir publia sur ce voyage un article dont voici quelques lignes :

« Le voyage du général la Fayette est une orgie révolutionnaire qui est moins le résultat d’un enthousiasme patriotique que des combinaisons de l’esprit de parti. Le comité directeur et les loges maçonniques les avaient commandées ; on voulait fêter la Révolution dans la personne de celui qui, depuis 1789, en avait prêché et défendu les principes ; c’est, en un mot, la Révolution vivante élevée sur le pavois. »

Quant au voyage de Charles X en Alsace, il est bon que nous en disions aussi quelques mots ; il fera pendant à celui du général la Fayette. D’ailleurs, tous les événements prennent un intérêt de l’approche des grandes catastrophes.

Ce voyage, tout au contraire de celui de la Fayette, qui, comme oh vient de le voir, avait excité partout l’enthousiasme des populations, n’avait, suivant la coutume des voyages princiers, présenté qu’un dévouement officiel et factice étendu sur des haines réelles, comme on étend un beau tapis sur une table vermoulue. Bien plus, il avait offert quelques-uns de ces augures funestes qui annoncent les grands cataclysmes politiques.

On avait traversé Varennes ; — et, d’abord, par quel hasard, par quel oubli, par quel malheur Varennes, la ville fatale à la monarchie, avait-elle trouvé place dans l’itinéraire du roi ? — mais ce n’était pas le tout : à Varennes, on s’était arrêté, pour changer de chevaux, juste au même endroit où Louis XVI, la reine, madame Élisabeth, les enfants de