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NOTES

pouvoir, aurions-nous reculé devant des jeunes gens, fort honorables sans doute, mais qui, il faut bien le dire, étaient sans puissance ?

» Jamais autorité ne fut obéie aussi ponctuellement que la nôtre. Jamais peuple ne se montra aussi docile, aussi courageux, aussi ami de l’ordre que celui de Paris en 1830. Nous n’avions pas seulement pour nous les masses inférieures, nous avions la garde nationale, la population tout entière. Lorsqu’il fut question de l’expédition de Rambouillet, l’autorité militaire nous demanda dix mille hommes. Sa dépêche nous était arrivée à neuf heures du matin : à neuf heures et demie, nos ordres étaient expédiés aux municipalités que nous avions créées ; à onze heures, les dix mille hommes étaient rassemblés aux Champs-Élysées, et se mettaient en mouvement, sous le commandement du général Pajol. Il avait suffi d’un coup de tambour pour les réunir. Leur nombre s’élevait à vingt mille et même à trente mille avant qu’ils fussent arrivés à Cognières, près Rambouillet. Au milieu d’eux, à la vérité, régnait un immense désordre. Charles X était entouré d’une garde fidèle, d’une nombreuse artillerie, et la cause nationale aurait pu éprouver une sanglante catastrophe. Elle n’en eût pas été ébranlée : Paris, dans vingt-quatre heures, aurait fourni cent mille hommes qui eussent été promptement organisés et disciplinés. La guerre civile fut prévenue par un mot du maréchal Maison, mot qui n’était pas exact quand il fut prononcé, mais qui le serait devenu le lendemain, et qui a trouvé son excuse dans ses heureux effets.

» Que si l’on me demande ce que nous avons fait de cette confiance sans mesure qui nous était accordée, je répondrai que ce n’est pas à moi qu’il faut adresser la question. La puissance souveraine, alors, était dans la Chambre, dont le public ignorait les dispositions intérieures. La Chambre obéissait tant aux événements qu’à M. Laffitte, et M. Laffitte, en outre, tant par lui que par le général la Fayette, disposait des masses populaires. Le crédit de la commission ne venait qu’en troisième ordre ; mais, comme il grandissait tous les jours, il inspira des inquiétudes, et on chercha le moyen de s’en débarrasser.

» J’ai déjà signalé la dissidence qui existait entre l’opinion publique et la législature ; il s’en déclara bientôt une autre dans le sein de la législature même.

» Parmi les députés, les uns voulaient constituer la royauté d’abord, sauf à s’occuper plus tard des garanties ; les autres demandaient qu’on s’occupât des garanties et des changements à faire dans l’organisation du pays avant de constituer la royauté. Commencerait-on par faire une constitution, ou commencerait-on par faire un roi ? Telle était donc la question.