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NOTES

posante. J’enfermai M. le commandant de place et la société dans son cabinet ; je me plaçai devant la porte, et je fis dire aux personnes qui m’avaient déjà accompagné de venir me rejoindre. Quelques minutes après, MM. Bard, Moreau et Hutin entraient dans la cour, et M. le commandant me signait l’ordre de me délivrer toutes les poudres appartenant à l’artillerie. Muni de cet ordre, et voulant opérer le plus légalement possible, j’allai trouver le maire, qui m’accompagna à la poudrière. Le colonel d’Orcourt nous montra la poudre : il n’y en avait effectivement que deux cents livres. Le maire les exigea pour la ville.

» Tout ce que j’avais fait jusque-là était devenu inutile ; je réclamai alors les poudres de la régie : elles me furent refusées. J’allai chez l’entreposeur, M. Jousselin ; je lui offris d’en acheter pour mille francs ; c’était ce que j’avais d’argent sur moi ; il refusa. C’est alors que, voyant que ce dernier refus était la suite d’un système bien arrêté par les autorités de n’aider en rien leurs frères de Paris, je sortis avec l’intention de tout prendre par force. J’envoyai M. Moreau, l’un des plus chauds patriotes de Soissons, arrêter, en les payant au prix qu’exigeraient les voituriers, des chariots de transport ; il me promit d’être avec eux dans une demi-heure à la porte de la poudrière. Son départ réduisit notre troupe à trois personnes. Je pris une hache, M. Hutin son fusil, et Bard (le jeune homme qui nous avait accompagnés de Paris) ses pistolets. Je laissai ce dernier en faction à la deuxième porte d’entrée ; je l’invitai à tirer sur la première personne qui essayerait de s’opposer à l’enlèvement de la poudre, et M. Hutin et moi enfonçâmes la porte à coups de hache. J’envoyai M. Hutin presser M. Moreau, et je l’attendis au milieu de la poudrière. Deux heures après, tout était chargé sans opposition de la part de l’autorité. D’ailleurs, tous les citoyens qui venaient de se soulever nous auraient prêté main-forte.

» Nous quittâmes Soissons à six heures et demie du soir, accompagnés des pompiers, qui s’étaient réunis à nous, de plusieurs jeunes gens à cheval et armés, et d’une trentaine d’hommes qui nous servirent d’escorte jusqu’à Villers-Cotterets. Notre sortie se fit au milieu des acclamations de tout le peuple, qui se découvrait devant le drapeau tricolore flottant sur notre première voiture.

» À dix heures, nous étions à Villers-Cotterets ; l’escorte de Soissons ne nous quitta que pour nous remettre entre les mains de la garde nationale de cette ville, qui, à son tour, nous accompagna jusqu’à Nanteuil.

» Voilà le récit exact de ce que j’ai cru devoir faire, général, pensant que, si j’allais trop loin, vous le pardonneriez à mon inexpérience diplo-