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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Il s’agissait de lire la proclamation de la Chambre.

M. Laffitte, comme tout le monde, avait beaucoup parlé, de sorte qu’il ne parlait plus. Il tenait sa proclamation à la main, et Dieu sait l’effet qu’eût produit une proclamation lue avec les tons grotesques de l’enrouement !

— Donnez, donnez, mon cher, s’écria M. Viennet en prenant la proclamation des mains de l’illustre banquier, j’ai une voix superbe, moi !

Et, en effet, d’une voix superbe, il lut la proclamation de la Chambre.

Le lecteur arriva à ces mots : « Le jury pour les délits de la presse. » Alors, l’homme qui devait faire les lois de septembre se pencha à l’oreille de la Fayette, et, haussant les épaules :

— Est-ce qu’il y aura encore des délits de presse ? dit-il.

Puis, la lecture achevée, il mit la main sur son cœur, geste dont abusent les rois qui montent sur le trône, et qui, cependant, à toujours le même succès.

— Comme Français, dit-il, je déplore le mal fait au pays et le sang qui a été versé ; comme prince, je suis heureux de contribuer au bonheur de la nation.

Tout à coup, un homme s’avança au milieu du cercle.

C’était le général Dubourg, l’homme du drapeau noir, le fantôme du 29 juillet.

Il avait disparu, il reparaissait pour disparaître encore.

— Prenez garde, monsieur, dit-il au duc d’Orléans, vous connaissez nos droits, les droits sacrés du peuple ; si vous les oubliez, nous vous les rappellerons !

Le duc d’Orléans fit un pas en arrière, non pas pour reculer, mais pour chercher le bras de la Fayette, et, appuyé à ce bras, il répondit :

— Monsieur, ce que vous venez de dire prouve que vous ne me connaissez pas. Je suis un honnête homme, et, quand j’ai un devoir à remplir, je ne me laisse ni gagner par la prière, ni intimider par la menace.

Cependant, la scène avait fait une vive impression ; cette impression, il fallait la combattre.