— Voulez-vous vous rattraper d’un seul coup ?
— Je ne demande pas mieux.
— Venez avec moi, alors.
— Où cela ?
— Vous faire fusiller.
— Je veux bien.
— Bravo ! Courez jusqu’à la maison ; prenez mes pistolets à deux coups ; faites seller mon cheval, et venez me rejoindre au Bourget.
J’ai oublié de dire que, sur les premiers fonds de Christine, j’avais acheté un cheval à ce même Chopin que, dans la matinée du 29, on avait pris pour l’empereur sur la place de l’Odéon.
— Qu’est-ce que c’est que le Bourget ? me demanda Bard.
— Le Bourget, c’est le premier relais de poste sur la route de Soissons.
— Pourquoi votre cheval, puisqu’il y a un relais de poste ?
— Ah ! voici… c’est que le maître de poste pourrait avoir éloigné ses chevaux ; c’est que ses chevaux pourraient avoir été pris ; c’est qu’enfin je ne puis pas emmener ma voiture, à cause des barricades, et que tous les maîtres de poste, malgré l’article de la loi qui les y oblige, n’ont pas de voitures de poste sous leurs hangars. Donc, vous comprenez bien ceci, mon cher : si nous trouvons une voiture, nous partirons en voiture ; si nous ne trouvons qu’un cheval, nous partirons côte à côte, à franc étrier : si nous ne trouvons rien du tout, il nous restera mon cheval ; vous monterez en croupe derrière moi, et nous représenterons à nous deux la plus belle moitié des quatre fils Aymon.
— Compris.
— Ainsi, mon cheval et mes pistolets à deux coups… Le premier arrivé au Bourget attendra l’autre.
— Je cours toujours ! s’écria Bard en s’élançant du côté du quai Pelletier.
— Et moi aussi, répondis-je en enfilant la rue de la Vannerie, laquelle conduisait tout droit à la rue Saint-Martin, mon chemin le plus direct pour arriver à la Villette.