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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Au milieu des cris de joie, des clameurs d’enthousiasme et des hurlements de triomphe, le pauvre général ne savait à qui entendre.

Hommes du peuple, étudiants, élèves de l’École polytechnique, chacun arrivait apportant sa nouvelle.

Le général disait :

— Très-bien ! très-bien !

Et il embrassait le messager, qui se précipitait tout joyeux par les degrés, en criant :

— Le général la Fayette m’a embrassé !… Vive le général la Fayette !

Charras arriva à son tour avec ses cent ou cent cinquante hommes.

— Général, dit-il, me voici.

— Ah ! c’est vous, mon jeune ami, dit la Fayette. Soyez le bienvenu.

Et il l’embrassa.

— Oui, général, c’est moi, dit Charras ; mais je ne suis pas seul.

— Avec qui êtes-vous ?

— Avec mes cent cinquante hommes.

— Et qu’ont-ils fait, vos cent cinquante hommes ?

— Les cent dix-neuf coups, général ! Ils ont pris la prison Montaigu, la caserne de l’Estrapade et celle de la rue de Babylone.

— Bravo !

— Oui, c’est très-bien, bravo !… Mais, maintenant qu’ils n’ont plus rien à prendre, que faut-il que j’en fasse ?

— Eh bien, mais dites-leur de rentrer tranquillement chez eux.

Charras se mit à rire.

— Chez eux ? Vous n’y pensez pas, général !

— Si vraiment ; ils doivent être fatigués après la besogne qu’ils ont faite.

— Mais, général, les trois quarts de ces braves gens n’ont pas de chez eux, et l’autre quart, en rentrant chez lui, ne trouvera ni un morceau de pain ni un sou pour en acheter.