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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Ne les manquez pas Don plus, vous !

Enfin, au bout d’une demi-heure à peu près, on se lassa de cette fusillade sans résultat.

Deux ou trois hommes crièrent : « Au Louvre ! au Louvre ! »

C’était insensé, car il était évident qu’on n’était qu’une centaine d’hommes, et qu’on allait avoir affaire à deux ou trois cents Suisses.

Mais, dans ces circonstances, on ne s’arrête pas seulement aux choses raisonnables, et, comme le fait que l’on accomplit est lui-même presque insensé, c’est aux déterminations impossibles que l’on s’arrête presque toujours.

Un tambour battit la charge et s’élança le premier sur le pont.

Tous les gamins l’accompagnèrent en criant : « Vive la Charte ! »

Le corps d’armée les suivit.

Je dois avouer que je ne fis point partie du corps d’armée.

De la position un peu élevée où je me trouvais, j’avais, comme je l’ai dit, cru distinguer une pièce en batterie. Tant que cette pièce n’avait eu que de la mitraille à éparpiller au hasard, elle s’était tenue parfaitement muette et tranquille ; mais, du moment où les assaillants s’engagèrent sur le pont, elle se démasqua… Je vis la lance fumante s’approcher de la lumière ; je m’effaçai derrière mon lion, et, au même instant, j’entendis le bruit de l’explosion et le sifflement des biscaïens qui venaient mutiler la façade de l’institut.

La pierre, écrasée par les projectiles, tomba tout autour de moi comme une pluie.

Ce qui s’était passé sur le pont suspendu se passa alors avec des détails parfaitement identiques sur le pont des Arts.

Tous les hommes engagés dans l’étroit espace tourbillonnèrent sur eux-mêmes, trois ou quatre continuèrent d’aller en avant ; cinq ou six tombèrent ; vingt-cinq ou trente restèrent immobiles ; le reste lâcha pied.

Un feu de peloton succéda au coup de canon : les balles cliquetèrent à mes côtés ; mon blessé poussa un soupir : une seconde balle venait de l’achever.