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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

taine couvert de blessures, et qui ne demande pas mieux que d’être général en chef, lui.

— Bravo ! crièrent cinq cents voix.

— Pardon de vous avoir couvert de blessures, mon cher monsieur, dit Lothon en mettant pied à terre et en présentant son cheval au nouvel élu ; mais j’ai cru que c’était le moyen le plus sûr de vous faire sauter par-dessus les grades intermédiaires.

— Oh ! monsieur, dit le capitaine enchanté, il n’y a pas de mal !

Puis, à son tour, s’adressant à la foule :

— Eh bien, demanda-t-il, sommes-nous prêts ?

— Oui ! oui ! oui !

— Alors, en avant marche !… Battez, tambours !

Les tambours battirent, et l’on descendit par la rue de l’Odéon en chantant la Marseillaise.

Au carrefour Bussy, en vertu de je ne sais quelle manœuvre stratégique, la troupe se trouva partagée en trois.

Une partie se dirigea vers la rue Sainte-Marguerite, l’autre vers la rue Dauphine, le reste suivit tout droit.

J’étais de ceux qui suivirent tout droit.

Il s’agissait, pour cette troupe-là, d’aborder le Louvre par le pont des Arts.

C’était, comme on dit, attaquer le taureau par les cornes.

Ce fut en débouchant sur le quai que je retrouvai mon homme au fusil de rempart adossé à la muraille, et criant, son épaule démise et sa mâchoire disloquée.

Ah ! n’oublions pas de dire qu’à tous les angles de rue, j’avais vue affichée la nomination du gouvernement provisoire, et la proclamation de MM. la Fayette, Gérard et de Choiseul appelant le peuple aux armes.

Quel singulier effet cela eût produit à ces trois messieurs, s’ils eussent été à ma place, et s’ils eussent lu ce que je lisais !