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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Charras arriva une demi-heure avant moi.

Il attendit.

L’attente ne fut pas longue ; un homme atteint d’une balle dans l’œil roula à ses pieds.

Charras s’empara du fusil du mort.

Un gamin qui guettait probablement la même occasion, accourut, mais trop tard.

Armé de son fusil, Charras n’en était guère plus riche ; il n’avait ni poudre ni balles.

— Moi, j’en ai, dit le gamin, de la poudre et des balles.

Et il tira de sa poche un paquet de quinze cartouches.

— Donne-les-moi, dit Charras.

— Non… Tirons à nous deux, si vous voulez.

— Soit, tirons à nous deux.

— En voilà sept, dit le gamin ; mais après vous le fusil ?

— Pardieu ! puisque c’est convenu.

Charras tira scrupuleusement les sept cartouches, et, les sept cartouches brûlées, passa loyalement le fusil au gamin, puis se courba derrière le parapet ; — d’acteur, il redevenait spectateur, et, en sa qualité de spectateur, il s’abritait du mieux qu’il lui était possible.

Le gamin avait tiré quatre cartouches, puis était venue la charge que nous avions vu exécuter de loin.

Le gamin s’était élancé sur le pont avec les autres.

Charras, quoique sans armes, avait suivi le mouvement.

J’ai raconté l’effet des trois décharges successives. Sous le souffle de l’ouragan de fer, Charras avait tourné sur lui-même, et, pour ne pas tomber, s’était accroché à son voisin ; mais le voisin, blessé à mort, était tombé en entraînant Charras avec lui.

De là le bruit que celui-ci avait été tué.

Par bonheur, au contraire, il était sain et sauf, et, comme il n’en était pas bien assuré lui-même, il s’en était donné la preuve en gagnant l’autre côté du quai, et en enfilant une petite rue à l’abri de laquelle il avait pu se tâter tout à son aise.

Quant au gamin, et, par conséquent, au fusil, il fallait en