Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/130

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
127
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

propriétaire lui-même, avait été celui-ci : — que tout le faubourg Saint-Germain était en insurrection.

On parlait d’un grand rassemblement qui devait avoir lieu le lendemain matin, sur la place de l’Odéon, comme point central, et d’où l’on partirait pour opérer les attaques des diverses casernes, qui jouaient, au milieu de l’insurrection, le rôle que jouent dans une invasion les places fortifiées.

Je rentrais, non pour me coucher, mais pour déposer mon fusil, ma poudre et mes balles ; je comptais passer une partie de la nuit à aller aux informations. Il me paraissait urgent de compromettre, d’une façon ou d’autre, les grands meneurs de l’opposition de quinze ans, et je désirais savoir si nos amis s’occupaient de ce petit travail.

Je fis donc une espèce de toilette de circonstance, et j’essayai de traverser les ponts.

Il était expressément défendu aux sentinelles des guichets du Carrousel et des Tuileries de laisser passer qui que ce fût sans le mot d’ordre.

À travers l’arcade de pierre, on apercevait la cour des Tuileries ; et la place du Carrousel, transformées en un bivac immense mais sombre, mais triste, mais sans bruit et presque sans mouvement. On eût dit, non pas des soldats, mais des fantômes de soldats

Je longeai le quai ; je repris, comme j’avais fait le matin, la place de la Révolution et la rue Saint-Honoré. Toutes les boutiques étaient fermées, mais il y avait des lampions sur la plupart des fenêtres. Les passants étaient rares, et, comme le bruit des voitures avait à peu près cessé à cause de l’obstacle que leur opposaient les barricades, on entendait passer dans les airs, comme des volées d’oiseaux de bronze, le mugissement lugubre et incessant du bourdon de Notre-Dame.

Je me rappelai, en suivant le quai, Paul Fouché et sa pièce. J’étais curieux de savoir s’il avait lu au comité, et si son drame était reçu ou refusé.

J’ai déjà dit que je connaissais le général la Fayette. Je tentai ce qu’avaient inutilement essayé Charras et les élèves de l’École, — de lui faire une visite.