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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Pour quoi faire ?

— Mais, répondis-je, pour nous battre.

Le capitaine se mit à rire.

— En vérité, monsieur Dumas, me dit-il, je ne vous croyais pas encore si fou que cela.

— Ah ! vous me connaissez ? lui dis-je.

— J’étais de garde à l’Odéon un soir ou l’on jouait Christine ; vous y êtes venu, et j’ai eu l’honneur de vous voir. 

— Alors, causons comme deux bons amis.

— C’est bien ce que je fais, ce me semble.

— Pourquoi suis-je un fou ?

— Vous êtes un fou, d’abord parce que vous risquez de vous faire tuer, et que ce n’est point votre état, de vous faire tuer ; ensuite, vous êtes un fou de nous demander le passage, attendu que vous savez bien que nous ne vous le donnerons pas… D’ailleurs voyez ce qui vous arriverait, si nous vous laissions passer : ce qui arrive à ces pauvres diables qu’on rapporte…

Et il me montrait, en effet, deux ou trois blessés ; les uns revenant appuyés sur les épaules de leurs camarades, les autres couchés sur des civières.

— Ah çà ! mais, vous, que faites-vous là ? lui demandai-je.

— Une chose fort triste, monsieur : notre devoir. Par bonheur, le régiment n’a pas d’autre ordre, jusqu’à présent, que celui d’empêcher la circulation. Nous nous bornons, comme vous le voyez, à exécuter cet ordre. Tant qu’on ne tirera pas sur nous, nous ne tirerons sur personne. Allez dire cela à vos hommes, et qu’ils s’en retournent paisiblement… Si même vous aviez l’influence de les faire rentrer chez eux, c’est une bonne chose que vous feriez là !

— Je vous remercie du conseil, monsieur, dis-je en riant à mon tour ; mais je doute, quant à la dernière partie, que mes compagnons soient disposés à le suivre.

— Tant pis pour eux, monsieur !

Je le saluai, et je fis un pas pour me retirer.

— À propos, dit-il, à quand Antony ?… N’est-ce pas le titre de la première pièce que vous comptez faire jouer ?