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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Cette agitation était produite par une nouvelle qui venait de se répandre, et qui exaspérait les esprits. On disait que le duc de Raguse s’était offert au roi pour prendre le commandement de la force armée de Paris.

La nouvelle, étrange pour tout le monde, l’était encore davantage pour moi ; la surveille, n’avais-je pas entendu, à l’Académie, le duc de Raguse déplorer les ordonnances, et inviter François Arago à ne point parler ?

Et, en effet, loin qu’il se fût offert, le maréchal Marmont avait été au désespoir quand, le matin même, il avait reçu chez le prince de Polignac l’ordonnance qui le chargeait du commandement de la première division militaire.

Il avait été sur le point de refuser, mais sa mauvaise étoile l’avait emporté. — Il y a des hommes prédestinés aux choses fatales !

Cette nouvelle jeta peut-être cinq cents combattants de plus dans la rue.

En arrivant au pont de la Révolution, je m’arrêtai tout étourdi, croyant avoir mal vu et me frottant les yeux : le drapeau tricolore flottait sur Notre-Dame !

J’avoue qu’à la vue de ce drapeau que je n’avais pas revu depuis 1815, et qui rappelait tant de nobles souvenirs de l’époque révolutionnaire, tant de souvenirs glorieux de l’époque impériale, je sentis une étrange émotion s’emparer de moi.

Je m’appuyai contre le parapet, les bras tendus, les yeux fixes et mouillés de larmes.

Du côté de la Grève, éclatait une vive fusillade, et la fumée s’élevait en épais nuages.

La vue de mon fusil rallia autour de moi une douzaine de personnes. Deux ou trois étaient armées de fusils : les autres avaient des pistolets et des sabres.

— Voulez-vous nous conduire ? voulez-vous être notre chef ? dirent ces hommes.

— Je le veux bien, répondis-je. Venez !

Nous traversâmes le pont de la Révolution, et nous prîmes la rue de Lille, pour éviter la caserne d’Orsay, qui commandait le quai.