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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Richelieu, tournant par la rue Saint-Honoré, et s’avançant vers le Palais-Royal. Derrière les tambours, venait un général au milieu de son état-major. On pouvait le voir à travers les ouvertures des persiennes.

Il me prit envie de rendre Oudard malade de peur.

— Dites donc, Oudard, fis-je, il m’est avis que, si je décrochais ce général qui passe, cela avancerait beaucoup les affaires de M. le duc d’Orléans…, qui est près du roi.

Et je mis le général en joue.

Oudard devint pâle comme un mort, et se jeta sur mon fusil, qui n’était pas même armé. Je lui montrai en riant le chien abaissé sur la cheminée.

— Oh ! me dit-il, vous allez partir d’ici, n’est-ce pas ?

— Vous attendrez bien que les soldats aient défilé… Je ne peux pas raisonnablement attaquer, à moi tout seul, deux ou trois mille hommes.

Oudard s’assit. Je déposai mon fusil dans un coin, et j’ouvris la fenêtre toute grande.

— Mais que faites-vous encore ? me dit-il.

— Je regarde passer les militaires… ; cela m’amuse.

Et je regardai passer les militaires depuis le premier jusqu’au dernier.

Ils allaient à l’hôtel de ville, où l’on commençait à se battre chaudement. Le général qui les commandait et que j’avais mis en joue, à la grande terreur d’Oudard, était le général de Wall.

Derrière les derniers rangs, je sortis, mon fusil sur l’épaule, et, aussi tranquillement que si j’allais faire une ouverture dans la plaine Saint-Denis, je remontai la rue de Richelieu.