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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

ture des autres théâtres, fermeture qui eut une influence immense sur le mouvement du soir et du lendemain.

Tous ces détails nous étaient donnés au café Gobiliard, dont la porte était soigneusement close.

Nous étions là trois ou quatre ayant couru toute la journée, et mourant de faim. Nous nous fîmes servir à souper.

On devine sur quoi roula la conversation.

Les uns disaient que le mouvement qui s’opérait à cette heure n’avait pas plus de portée que celui de 1827, et que l’émeute, n’ayant pas la force de monter à l’état de révolution, avorterait de la même manière. Les autres, et j’étais de ceux-là, prétendaient, au contraire, qu’on n’était qu’au prologue de la comédie, et que le lendemain verrait s’accomplir bien des choses.

Nous étions au beau milieu de la discussion, quand un coup de feu retentit et nous fit tressaillir. Il était tiré sur la place.

Presque en même temps, on entendit le cri « Aux armes ! » suivi d’un bruit pareil à celui d’un combat corps à corps.

— Vous voyez, dis-je, voilà le vrai drame qui commence !

Il était neuf heures quarante minutes à la pendule du café.

Nous montâmes rapidement à l’entre-sol, et regardâmes par les fenêtres.

Le corps de garde venait d’être surpris, enveloppé, attaqué par une vingtaine d’hommes. Une lutte s’accomplissait dans l’obscurité, lutte dont on ne distinguait que l’informe ensemble, et dont tous les détails échappaient.

Les soldats furent vaincus et désarmés. On leur prit leurs fusils, leurs gibernes et leurs sabres, et on les renvoya par la rue Joquelet ; puis une quinzaine d’hommes se détachèrent, vinrent enlever le cadavre de la femme, toujours gisant sur les marches du théâtre, le placèrent sur un brancard, et s’éloignèrent par la rue des Filles-Saint-Thomas en criant :

— Vengeance !

Trois ou quatre, armés d’une torche, restèrent derrière les autres ; avec cette torche, ils allumèrent au milieu du corps de garde un feu de paille ; puis, à coups de pied, ils enfoncé-