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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Seulement, une grave inquiétude planait sur tout le monde comme un nuage sombre, et particulièrement sur moi.

La censure n’avait pas encore dit son dernier mot au sujet de la pièce.

Il y avait, à cette époque, un misérable qui vivait de scandale, rançonnant tour à tour l’amour-propre ou la faiblesse, près duquel Geoffroi était un honnête homme et un critique consciencieux. C’était pour lui que de Laville semblait avoir fait ces vers du Folliculaire :

Un vase de vermeil, une bague de prix,
Du vin surtout, voilà ses cadeaux favoris.
On assure — je crois que, sur ce fait probable,
Pour le vrai, la chronique a pris le vraisemblable —
Qu’au jour où nos amis viennent du vieux Nestor
Nous souhaiter les ans, et bien d’autres encor ;
Au jour où les filleuls aiment tant leurs marraines ;
Jour de munificence où, sous le nom d’étrennes,
Chacun de son voisin attend quelques tributs,
Et d’une honnête aumône accroît ses revenus,
Il revend au rabais, ou plutôt à l’enchère,
Le superflu des vins et de la bonne chère
Dont l’accable le zèle ou l’effroi des acteurs ;
Et que Follicula, pour qui les directeurs
De schalls et de chapeaux renouvellent l’emplette,
Se fait, pendant deux mois, marchande à la toilette !

À cet homme, le théâtre presque entier payait un tribut. Mademoiselle Mars lui faisait une pension ; il avait des subventions du Théâtre-Français, de l’Odéon, de l’Opéra et de l’Opéra-Comique. On venait chez lui comme à un marché public : il vendait aux uns l’éloge, aux autres l’attaque ; il vendait tout, jusqu’à son silence.

Mademoiselle Mars, Firmin, les comédiens français, Taylor lui-même avaient insisté pour que je fisse une visite à cet homme ; j’avais constamment refusé.

Aussi, un matin, m’apporta-t-on son journal, et j’y lus ces lignes :