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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

nait trop bien au rôle, et que c’était pour cela que je ne voulais pas le lui donner.

Cette réponse me brouilla à tout jamais avec Armand, et faillit me brouiller avec mademoiselle Mars.

Voilà quelles étaient mes tracasseries au théâtre ; — le bureau m’en gardait bien d’autres.

Comme pour Christine, les journaux s’étaient empressés de publier ma réception, et, comme pour Christine, la rumeur avait été grande dans les bureaux.

Cependant, on ne dit rien d’abord ; mais, Firmin m’ayant, grâce à cette facile communication du comité avec mon cabinet, appelé plusieurs fois, et mes absences à la suite de ces appels, qui avaient pour but de régler quelques difficultés de distribution ou de mise en scène, ayant été constatées, il en résulta contre moi une déposition assez grave pour constituer un délit.

En conséquence, un matin, je reçus, par l’entremise de Féresse, l’invitation de monter chez M. le directeur général.

M. de Broval m’attendait avec ce visage sévère qui promet un orage. Il me rappela à l’instant même M. Lefèvre, avec son discours sur la machine bien organisée, et le rouage, si petit qu’il soit, qui ne fonctionne pas.

Hélas ! depuis six ans, je n’avais pas beaucoup grandi comme rouage, et je me trouvais presque aussi petit devant M. de Broval que je l’avais été devant M. Lefèvre.

Mais il y avait quelque chose au fond de mon cœur qui me grandissait : c’était cette assurance en moi-même que m’avaient donnée six ans de travaux, et ma double réception de Christine et D’Henri III.

J’attendais donc la tempête avec un calme qui surprit M. de Broval, qui le déconcerta presque.

Enfin, d’un ton assez doucereux, il m’expliqua que la littérature et la bureaucratie étaient deux ennemies qui ne pouvaient vivre ensemble, et que, sachant que, malgré cette antipathie naturelle qu’elles ont l’une pour l’autre, je voulais les allier, il m’invitait à choisir entre elles.

C’était un beau parleur que M. de Broval, ayant rempli, en