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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

comité. La pièce fit grand effet ; mais l’avis unanime fut que je devais faire représenter Christine auparavant. Henri III, disait-on, était trop risqué pour un premier ouvrage.

Il va sans dire que le père Villenave trouvait tous ces nouveaux essais monstrueux, et les déclarait des aberrations de l’esprit humain.

C’était, au reste, l’époque où toute une génération nouvelle poussait avec nous et autour de nous. Plusieurs journaux venaient d’être créés par des hommes de notre âge, et étaient lancés dans des idées nouvelles, en opposition avec celles du Constitutionnel, du Courrier français, du Journal de Paris et du Journal des Débats, qui, dès cette époque, réservait toute sa bienveillance pour Victor Hugo.

Ces journaux étaient le Figaro et de Sylphe. Ils étaient rédigés par Nestor Roqueplan, Alphonse Royer, Louis Desnoyers, Alphonse Karr, Vaillant, Dovalle, et une douzaine d’autres hardis champions du romantisme.

je les réunis tous dans la chambre de Nestor Roqueplan, et, en dehors d’eux, j’invitai Lassagne et Firmin.

À cette époque, Nestor Roqueplan n’était pas splendidement logé dans les appartements de l’Opéra ; ses salons n’avaient pas des entre-deux de Boule et des encoignures de Coromandel. Il avait une petite chambre au cinquième, avec une cheminée garnie d’une cuvette au lieu de pendule, et de pistolets de duel au lieu de candélabres. Nous nous entassâmes une quinzaine dans cette chambre ; on étendit les matelats du lit sur le carreau pour faire des divans ; on transforma la couchette en sofa. Je me mis devant une table éclairée par de simples bougies ; on plaça la bouilloire devant le feu, afin de couper chaque acte par une tasse de thé, et je commençai.

Cette fois, j’avais affaire à des oseurs ; aussi, l’avis fut-il tout différent : on déclara d’une voix unanime que je devais abandonner Christine à son malheureux sort, et poursuivre Henri III.

Firmin était enchanté ; il comprenait bien mieux le rôle de Saint-Mégrin qu’il n’avait compris celui de Monaldeschi. Il se