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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Je crus que la douleur qu’il éprouvait avait besoin surtout, non pas de plates consolations que je pouvais lui donner, mais d’une solitude pleine de souvenirs.

Je repris mon chapeau, je lui serrai la main, et je sortis.

Cela m’avait rappelé cette apparition de mon père, qui, la nuit même de sa mort, était venu me réveiller tout enfant, et je me fis, sans pouvoir y répondre, cette question tant de fois faite : « Par quels liens mystérieux la mort tient-elle donc à la vie ? »

Depuis, lorsque je perdis ma mère, que j’aimais plus que tout au monde, et qui, de son côté, m’adorait au delà de toute expression, je me rappelai cette double apparition, et, près du lit où elle venait d’expirer, à genoux et les lèvres sur sa main, je la suppliai, si quelque chose d’elle survivait à elle-même, de m’apparaître une dernière fois ; puis, la nuit-venue ; je me couchai dans une chambre isolée, attendant, le cœur tout palpitant, la vision bien-aimée.

Je comptai inutilement presque toutes les heures de la nuit, sans qu’aucun bruit, sans qu’aucune apparition vint consoler ma veille funèbre.

Et, alors, je doutai de moi-même et des autres, car j’aimais tant ma mère et elle m’aimait tant, que, si elle eut pu se soulever une dernière fois de sa couche pour me dire un dernier adieu, elle l’eût fait bien certainement.

Puis peut-être les enfants et les vieillards sont-ils seuls privilégiés : — les enfants, parce qu’ils sont plus près du berceau ; les vieillards, parce qu’ils sont plus près de la tombe.