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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Ah ! je crois bien ! c’est que c’était un gaillard, Piron !… Je l’ai vu, moi, chez madame de Montesson… Vous ne l’avez pas connue, vous, madame de Montesson ?

— Si fait, monsieur ; mon père m’a conduit chez elle, lorsque j’étais tout enfant.

— Une femme charmante, monsieur, une femme charmante, qui recevait la meilleure société de Paris.

— Maintenant, monsieur, lui demandai-je, si vous voulez avoir la bonté de me donner du travail ?

— Quel travail ?

— Dame ! du travail.

— Mais il n’y en a plus !

— Comment, il n’y en a plus ?

— Sans doute, puisque vous avez tout expédié.

— Eh bien, mais que vais-je faire ?

— Ce que vous voudrez, monsieur.

— Comment, ce que je voudrai ?

— Oui… À mesure que la besogne viendra, je la mettrai sur votre bureau, et vous la tiendrez au courant.

— Mais, alors, dans mes moments perdus ?…

— Jeune homme, jeune homme ! à votre âge, il faut perdre le moins de moments possibles.

— C’est aussi mon avis, monsieur, et vous en eussiez été convaincu, si vous m’aviez laissé finir…

— Ah ! ah !

— Je voulais vous demander si, dans mes moments perdus, je pouvais travailler à ma tragédie ?

Remarquez que je disais tragédie au lieu de drame ; je tenais à ne pas épouvanter M. Bichet.

— Vous faites donc une tragédie ? me dit-il.

— Hum !… je ne sais pas si je dois vous l’avouer.

— Pourquoi pas ?… Je n’y vois point de mal. J’ai mon vieil ami Pieyre qui a fait une comédie.

— Oui, monsieur, et même assez remarquable : l’École des Pères.

— Vous la connaissez ?

— Je l’ai lue.