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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Un soir, Delanoue était venu me voir à mon bureau et m’avait proposé, tandis que le courrier du Palais-Royal allait à Neuilly et en revenait, de me conduire à l’Athénée.

J’ignorais tant de choses, qu’on ne sera pas étonné, je l’espère, que j’ignorasse ce que c’était que l’Athénée.

M. Villenave y donnait, ce soir-là, une séance littéraire.

J’ignorais ce que c’était que M. Villenave ; ce qui m’était un peu plus permis que d’ignorer ce que c’était que l’Athénée.

J’acceptai, cependant. À cette époque, je n’avais pas cette horreur des nouvelles connaissances qui m’est venue depuis. On me promettait de la littérature et des littérateurs ; avec cette promesse-là, on m’eût fait passer sur le tranchant du rasoir qui sert de pont au paradis de Mahomet.

Aujourd’hui, j’y passerais encore, tout enclin aux vertiges que je suis, mais ce serait pour fuir ce que j’allais chercher à cette époque.

Les séances de l’Athénée se tenaient, autant que je puis me le rappeler, dans une salle basse du Palais-Royal dont l’entrée était rue de Valois.

On y parlait de toute sorte de choses qui eussent été assommantes dans un salon, et qui, à l’Athénée, n’étaient qu’ennuyeuses.

Ceux qui disaient ces choses ennuyeuses avaient, de droit, un certain nombre de billets qu’ils distribuaient à leur famille, à leurs amis et à leurs connaissances.

Ils auraient pu dire ces choses-là tout seuls ; mais ils préféraient, je ne sais pourquoi, qu’il y eût des auditeurs.

Ce soir-là, la salle était pleine. M. Villenave était fort répandu dans le monde ; d’ailleurs, ses séances avaient une certaine réputation.

De quoi traitait celle-là ? Si j’étais condamné à être pendu, et qu’il fallût le dire pour racheter ma vie, je serais pendu.

C’était, selon toute probabilité, une étude sur quelque mort médiocre qui servait de prétexte à celui qui la faisait pour donner quelques coups de patte aux vivants.

M. Villenave tenait la tribune : il parlait debout, éclairé