Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/33

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
30
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

J’avais une énorme envie de l’embrasser : il en fut quitte pour la peur.

La lecture achevée, Taylor sauta à bas de son lit.

— Vous allez venir au Théâtre-Français avec moi, dit-il.

— Et pourquoi faire, mon Dieu ?

— Pour prendre votre tour de lecture le plus vite possible.

— Vraiment ! je lirai au comité ?

— Pas plus tard que samedi prochain.

Taylor appela :

— Pierre !

Un vieux domestique entra.

— Tout ce qu’il me faut pour m’habiller, Pierre.

Puis, se retournant de mon côté :

— Vous permettez ? demanda-t-il.

— Si je permets, je le crois bien !…

Le jeudi suivant ; — car Taylor n’avait pas voulu attendre au samedi, et avait convoqué un comité extraordinaire, — le jeudi suivant, soit par l’effet du hasard, soit que Taylor eût vanté l’ouvrage outre mesure, le comité était au grand complet : hommes et femmes en grande toilette, comme s’il se fût agi d’une soirée dansante.

Ces femmes coiffées en chapeau ou en fleurs, ces hommes en habit, ce grand tapis vert, ces regards de curiosité qui se fixaient sur moi, tout, jusqu’au verre d’eau solennel que Granville but à ma place, — ce qui me sembla assez bizarre, — concourait à m’inspirer une émotion profonde.

Christine n’était point ce qu’elle est aujourd’hui : c’était une simple pièce romantique par la forme, mais classique par le fond. Elle était réduite à cinq actes ; tout se passait à Fontainebleau, et avec l’unité de temps, de lieu et d’action, recommandée par Aristote. Chose plus étrange encore ! elle ne renfermait pas le rôle de Paula, qui est aujourd’hui la meilleure création de l’ouvrage, et surtout le véritable ressort dramatique. Monaldeschi trahissait l’ambition, mais non l’amour de Christine.

Cependant, j’ai vu peu d’ouvrages avoir à la lecture un succès pareil. On me fit répéter trois fois le monologue de