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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

altercation où, pris pour juges par les parties, nous condamnâmes Harel à payer à Georges deux cents francs d’indemnité sur la recette du soir.

La robe fut envoyée au magasin, et l’on en lit des costumes de page.

Cette amitié d’Harel pour son cochon devint une frénésie. Un jour, Harel m’aborda à la répétition en me disant :

— Vous ne savez pas, mon cher ? J’aime tant mon cochon, que je couche avec lui !

— Eh bien, lui répondis-je, je viens de rencontrer votre cochon, qui m’a dit exactement la même chose.

Je crois que c’est le seul mot auquel Harel n’ait rien trouvé à répliquer.

Il en fut de Piaff-Piaff comme de tous les animaux trop aimés : il sentit sa puissance, il en abusa, et les choses finirent, un jour, par mal tourner pour lui.

Piaff-Piaff, bien nourri, bien logé, bien caressé, couchant avec Harel, en était arrivé au poids honorable de cent cinquante livres ; ce qui était — nous en avions fait le calcul — cinquante livres de plus que Janin, trente livres de plus que Lockroy, dix livres de plus que moi, cinquante livres de moins qu’Éric Bernard : il avait été arrêté, dans un conseil d’où avait été exclu Harel, qu’arrivé au poids de deux cents livres, Piaff-Piaff serait utilisé en boudin et en saucisses.

Malheureusement pour lui, chaque jour, il commettait dans la maison quelque nouveau désordre qui amenait une menace universelle d’avancer l’heure fixée pour son trépas, et, cependant, malgré tous ces méfaits, l’adoration d’Harel pour Piaff-Piaff était tellement connue, que les plus dures résolutions finissaient toujours par tourner à la miséricorde.

Mais, un jour, il arriva que, Piaff-Piaff rôdant à l’entour d’une espèce de cage où se tenait un magnifique faisan que j’avais donné à Tom, le faisan eut l’imprudence d’allonger le cou entre deux barreaux pour pincer un grain de blé, et Piaff-Piaff allongea le groin, et pinça la tête du faisan.

Tom était à quatre pas de là ; il vit se faire le tour, et jeta les hauts cris.