Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/263

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
260
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

rue Notre-Dame-des-Champs, pour avoir Marion Delorme.

Harel accourut d’abord ; il entra et, trouvant le manuscrit sous sa main, commença par écrire, à tout hasard, au-dessous du titre de l’ouvrage : « Reçue au théâtre de l’Odéon, le 14 juillet 1829. »

C’était le jour anniversaire de la prise de la Bastille : Harel espérait prendre Marion Delorme de la même façon que nos pères avaient pris la Bastille, — par surprise !

Harel fut repoussé avec perte ; mais, comme son nom était sur le manuscrit, il n’en soutint pas moins qu’il y avait prise de possession.

Après Harel, le lendemain ou le surlendemain, on annonça ; M. Crosnier.

Il fut introduit dans le salon.

Hugo lisait un journal ; il se leva, indiqua de la main un siège à M. Crosnier, qui s’assit.

Hugo s’assit à son tour, et attendit.

Mais M. Crosnier gardait le silence ; ce que voyant Hugo, il reprit son journal ; — ce que voyant à son tour M. Crosnier, il se décida à parler.

— Monsieur, dit-il s’adressant à Hugo, j’étais venu pour avoir l’honneur de parler à monsieur votre père ; on m’avait dit qu’il était chez lui. Si ce n’était point abuser de votre complaisance, je vous prierais de vouloir bien le faire prévenir que je l’attends.

— Hélas ! monsieur, répondit Hugo, mon père est mort depuis un an, et je présume que c’est à moi que vous voulez parler.

— Je veux parler à M. Victor Hugo.

— C’est moi, monsieur.

Crosnier ne pouvait se figurer que ce petit jeune homme blond et rose, qui semblait un enfant de vingt ans, fût l’homme autour duquel, depuis cinq ou six ans, il se faisait déjà tant de bruit.

Alors, il exposa le but de sa visite.

Il venait demander Marion Delorme pour le théâtre de la Porte-Saint-Martin.