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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Voyez-vous ce futur philosophe qui, à quatorze ans, avait fui les cités et les cours !…

C’est charmant de naïveté enfantine.

Eh bien, chose curieuse, ce furent ces quatorze ans qu’accusait le poëte qui empêchèrent le poëte d’être couronné. M. Raynouard, rapporteur, déclara que le concurrent, en se donnant trois lustres à peine, — c’était ainsi que l’on comptait en 1817, et que l’Académie compte encore, — M. Raynouard, dis-je, déclara que le concurrent avait voulu se moquer de l’Académie.

Et, comme si l’Académie n’était pas habituée à ce que l’on se moquât d’elle, le prix fut partagé entre Saintine et Lebrun.

Cependant, on lut tout au long la pièce de l’imprudent qui s’était moqué de l’Académie en se donnant quatorze ans et demi.

L’assemblée, qui se moquait que l’on se moquât de l’Académie, applaudit fort les vers du jeune poëte.

Les suivants surtout furent couverts de bravos, et eussent été bissés, si l’on bissait à l’Académie :

Mon Virgile à la main, bocages verts et sombres,
Que j’aime à m’égarer sous vos paisibles ombres !
Que j’aime, en parcourant vos gracieux détours,
À pleurer sur Didon, à plaindre ses amours !
Là, mon âme, tranquille et sans inquiétude,
S’ouvre avec plus de verve aux charmes de l’étude ;
Là, mon cœur est plus tendre et sait mieux compatir
À des maux que peut-être il doit un jour sentir.

Du reste, le concours était remarquable. Au nombre des concurrents étaient — nous les avons déjà nommés en disant que le prix avait été partagé entre eux — Saintine et Lebrun, d’abord ; puis Casimir Delavigne, Loyson, qui acquit depuis une certaine popularité que vint interrompre la mort, et, enfin, Victor Hugo.

Loyson eut l’accessit, et Victor Hugo — quoiqu’il se fût moqué de l’Académie, au dire de M. Raynouard, — la première mention honorable.