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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

rieuses parce qu’elles sont l’expression du caractère ou le secret de l’âme, les premières paroles des blessés, les dernières paroles des mourants.

Il racontait parfois des anecdotes qui, sans méchanceté aucune, donnaient une idée de l’ignorance de ces hommes brodés et empanachés, cœurs de lion pour la plupart, mais, pour la plupart aussi, esprits médiocres et infiniment moins éclatants dans les salons que sur les champs de bataille.

En revenant d’Égypte, Larrey avait rapporté un objet tombé, depuis, dans le domaine public, mais qui, à cette époque, appartenait encore à la haute curiosité scientifique ; c’était une momie.

Il rencontre Augereau.

— Ah ! lui dit-il, viens donc dîner demain avec moi ; je te montrerai une momie que j’ai rapportée des Pyramides.

— Volontiers, dit Augereau.

Augereau arrive diner le lendemain.

— Eh bien, cette momie, dit-il au dessert, pourquoi ne l’avons-nous pas vue encore ?

— Parce qu’elle est dans mon cabinet, dit Larrey ; suis-moi, et tu la verras.

Larrey passe le premier, Augereau le suit avec curiosité. Arrivé dans le cabinet, Larrey va à la boîte, dressée contre la muraille, l’ouvre et met à découvert la momie.

Alors, Augereau s’approche, et, la touchant du doigt :

— Tiens, dit-il dédaigneusement, elle est morte !

Larrey fut si étourdi de cette exclamation, qu’il ne songea pas même à faire ses excuses à Augereau de l’avoir dérangé pour lui faire voir une chose aussi peu intéressante qu’une momie morte.

Tout ce monde-là, pourtant, était littéraire, non pas personnellement, non pas par goût, mais par tradition. Nul n’avait encore oublié que Bonaparte signait ses proclamations de l’armée d’Égypte, et que Napoléon, chaque fois qu’il rencontrait M. de Fontanes, l’abordait en lui disant :

— Eh bien, monsieur de Fontanes, m’amenez-vous un poëte ?