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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

ses plumes d’oie, — il exécrait les plumes de fer, — et il travaillait jusqu’à neuf ou dix heures du soir.

À cette heure, il sortait une seconde fois ; mais, alors, pour suivre invariablement la ligne des boulevards ; et, selon l’affiche, il entrait à la Porte-Saint-Martin, à l’Ambigu ou aux Funambules. On a vu que c’est à la Porte-Saint-Martin que je l’ai rencontré pour la première fois.

Il y avait trois acteurs qu’adorait Nodier : Talma, Potier et Debureau.

Quand j’ai connu Nodier, Talma était mort depuis trois ans ; Potier était retiré depuis deux ; il ne lui restait donc, comme attraction irrésistible, que Debureau.

C’est lui qui, le premier, a divinisé l’illustre Pierrot. À cet endroit, Janin n’est venu qu’après Nodier, et n’est que son imitateur.

Nodier avait vu près de cent fois le Bœuf enragé.

À la première représentation de la pièce, il avait attendu le Bœuf jusqu’à la fin, et, ne le voyant pas venir, il était sorti pour s’en informer à l’ouvreuse.

— Madame, lui demanda-t-il, voulez-vous m’apprendre pourquoi cette pantomine que je viens de voir jouer s’appelle le Bœuf enragé ?

— Monsieur, répondit l’ouvreuse, parce que c’est son titre.

— Ah ! fit Nodier.

Et il se retira satisfait de l’explication.

Les six jours de la semaine s’écoulaient parfaitement semblables les uns aux autres ; puis venait le dimanche.

Tous les dimanches, Nodier sortait à neuf heures du matin, et s’en allait déjeuner chez Guilbert de Pixérécourt, pour lequel, à la fois, il avait une grande amitié et une profonde admiration

Il l’appelait le Corneille des boulevards.

Là, il trouvait le congrès scientifique de Crozet ou de Techener.

Nous avons dit que l’un de ces bibliomanes s’appelait le marquis de Chatabre. Il mourut laissant une bibliothèque du plus grand prix, et léguant cette bibliothèque à mademoiselle