Page:Dumas - Mes mémoires, tome 4.djvu/95

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
92
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

parmi les pairs, à l’arrivée des pièces nécessaires de Carhaix en Cornouailles, et je tâcherai de faire bientôt quelque figure dans la Chambre. Il me faut un éclat, ou tout est perdu. Ma satire doit rester secrète pendant un mois encore ; après quoi, vous pourrez en dire ce que bon vous semblera. Lord C*** s’est conduit envers moi d’une manière infâme, et a refusé de donner aucun témoignage sur ma famille au lord chancelier. Je l’ai, en remerciaient, rudement châtié dans mes vers, et il regrettera, j’en suis sûr, de ne pas s’être montré plus facile envers moi. On me dit que ma satire aura du succès ; je l’espére, car le libraire a convenablement agi envers moi, — bien entendu comme libraire.

» Croyez-moi votre sincèrement dévoué
» Byron.

» P.-S. Vous aurez hypothèque sur une des fermes. »

Mais Byron était condamné d’avance. Avec grand’peine il obtint les papiers dont il avait besoin pour constater ses titres à la pairie, et, trois jours après qu’il eut écrit la lettre qu’on vient de lire, c’est-à-dire le 9 mars 1809, six semaines après sa majorité accomplie, il se présenta à la chambre des pairs.

De cette épreuve, avons-nous dit, allait dépendre toute sa vie. Comme il l’avait écrit à sa mère, sa satire devait rester secrète un mois encore. S’il était bien reçu par ses illustres collègues, la satire restait inédite et le poëte inconnu.

Dieu voulut qu’on fût injuste envers un jeune homme, envers un enfant, et même plus qu’injuste, cruel.

Il entra seul à la Chambre, calme en apparence, mais le visage couvert d’une pâleur mortelle ; pas un coup d’œil de bienveillance ne l’encouragea, pas une main ne se tendit vers la sienne ; il chercha un regard ami dans toute l’illustre assemblée, et les regards de l’assemblée se détournèrent de lui.

Alors, sa résolution fut prise dans son cœur. Lord Byron allait se refaire une seconde noblesse pour la postérité, puisque la sienne était insuffisante à ses contemporains.