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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

naient assez, et alors, alors… Eh bien, Dieu sait ce qui fût arrivé. »

Mais Byron boitait ; mais Byron fuyait tous les exercices où cette difformité pouvait être mise à jour, et, par conséquent, la danse ; miss Chaworth, au contraire, aimait fort à danser. Byron, les bras croisés, le sourcil froncé, la lèvre crispée par la colère, restait debout appuyé à l’angle de quelque porte ou au chambranle de quelque cheminée, tandis que la musique emportait loin de lui celle qu’il aimait, et que conduisait, à travers les figures de la contredanse ou les nœuds de la valse, un danseur ou un valseur plus heureux que lui… Un jour même qu’on disait à Marie Chaworth :

— Savez-vous que Byron paraît fort amoureux de vous ?

— Que m’importe ! répondit Marie.

— Comment ! que vous importe ?

— Eh ! oui, croyez-vous donc que je m’occupe de cet enfant boiteux ?

Byron entendit les questions et les réponses. Ce fut pour lui, il le dit lui-même, comme un coup de poignard au plus profond de son cœur. Il était minuit lorsque ces paroles furent prononcées ; il s’élança hors de la maison comme un fou, et courut sans s’arrêter jusqu’à Newstead, où il tomba presque évanoui en arrivant.

Un an après, miss Chaworth se maria.

— Tirez votre mouchoir, mon fils, dit un jour, en rentrant chez elle, au jeune homme, lady Byron.

— Et pourquoi, ma mère ?

— Mais parce que j’ai une mauvaise nouvelle à vous apprendre.

— Laquelle ?

— Miss Chaworth est mariée.

Byron tira son mouchoir de sa poche, se moucha, et, avec cette expression de sarcasme que savait si bien prendre son visage en certains moments :

— Est-ce tout ? dit-il.

— Mais n’est-ce point assez ? demanda lady Byron, qui sen-