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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

rieu avait sollicitée vingt ans, la pièce tant prônée par son auteur fit ce que l’on appelle, en termes de théâtre, un four complet.

Quinze jours après, un de ses amis le rencontre.

— Eh bien, lui dit-il, te voilà raccommodé avec les comédiens français ?

— Avec eux, jamais !

— Que t’ont-ils donc fait encore ?

— Ce qu’ils m’ont fait ? Imagine-toi que ces brigands-là… Tu sais, mon Artaxercès, un chef-d’œuvre ?

— Oui.

— Eh bien, ils le jouent juste les jours ou il n’y a pas de recette !

Et jamais il ne pardonna ce mauvais tour à MM. de la Comédie-Française.

Mais les mots de Delrieu nous mèneraient trop loin. Sautons à reculons de la reprise d’Artaxercès à sa première représentation, et nous nous retrouverons au 30 avril 1808.

Mademoiselle Georges avait crée le rôle de Mandane, et l’avait joué quatre fois ; mais, le jour de la cinquième représentation, un bruit sinistre se répandit au théâtre, et, du théâtre, passa dans la ville.

Mandane avait disparu.

C’était un satrape autrement puissant qu’Arbace qui l’avait enlevée : c’était Sa Majesté l’empereur de toutes les Russies.

Les Russes n’ont jamais eu d’autre littérature aristocratique que là nôtre ; les Russes ne parlent pas généralement russe ; en échange, ils parlent bien mieux français que nous.

Le Théâtre-Français était riche en têtes couronnées, à cette époque. Il possédait, en reines tragiques seulement, mademoiselle Raucourt, mademoiselle Duchesnois et mademoiselle Georges.

L’empereur Alexandre pensa tout naturellement que les riches devaient prêter aux pauvres.

D’ailleurs, les Russes venaient de perdre Austerlitz et Eylau, et ils avaient bien droit à une compensation quelconque.