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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

naval, j’eus quelque peine à m’habituer au rude naturel de Gurth, le gardien de pourceaux, et aux drôlatiques facéties de Wamba, le fou de Cédric. Mais, lorsque l’auteur m’eut introduit dans la salle à manger romane du vieux Saxon ; quand j’eus vu la lueur du foyer, alimenté par un chêne tout entier, se refléter sur le capuchon et sur la robe du pèlerin méconnu ; quand j’eus vu toute la famille du thane prendre place à la longue table de chêne, depuis le chef du château, le roi de sa terre, jusqu’au dernier serviteur ; quand j’eus vu apparaître le juif Isaac avec son bonnet jaune, sa fille Rébecca avec son corsage d’or ; quand le tournoi d’Ashby m’eut donné cet avant-goût des grands coups d’épée et des rudes coups de lance que je devais retrouver dans Froissart, oh ! alors, peu à peu, les nuages qui bornaient ma vue se soulevèrent, et je commençai à apercevoir d’autres horizons encore plus reculés que les premiers qui m’étaient apparus, quand Adolphe de Leuven avait opéré dans ma vie de province les changements à vue dont j’ai parlé.

Puis vint Cooper avec ses grands bois, ses prairies immenses, ses océans infinis, ses Pionniers, sa Prairie, son Corsaire rouge, trois chefs-d’œuvre de description, où l’absence du fond est si bien dissimulée par la richesse de la forme, qu’on traverse tout le roman en marchant, comme l’apôtre, sur un terrain toujours prêt à vous engloutir, et où, cependant, l’on est soutenu, non point par la foi, mais par la poésie, de la première à la dernière page.

Puis Byron, — Byron, qui mourait à Missolonghi, juste au moment où je commençais à l’étudier à Paris comme poëte lyrique et comme poëte dramatique.

On s’était énormément occupé de lord Byron depuis quelque temps ; la gloire du poëte s’était ravivée à la flamme du bivac des Grecs ; son nom était désormais mêlé aux noms des Hellènes illustres ; non-seulement on disait Byron comme on disait Walter Scott et Chateaubriand, mais encore on disait Byron comme on disait Mavrocordato, Odyssée et Canaris.

Un jour, avant que l’on sût même la maladie de l’illustre poëte, on lut dans les journaux :