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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

matin, attendaient leur feuilleton dans l’impatience de savoir si la fille de M. d’Avrigny mourrait ou ne mourrait pas.

Comme la fille de M. d’Avrigny était condamnée par le destin et par moi, le feuilleton fut interrompu.

En outre, et pour tranquilliser les deux pauvres malades, j’improvisai, manuscrite, une fin qui leur rendit l’espoir, mais qui, malheureusement, ne leur rendit point la santé.

Le feuilleton ne fut repris qu’après leur mort.

Les lecteurs de la Presse virent l’interruption sans en connaître la cause.

La cause, la voilà.

Le matin, de six à sept heures, j’allais donc parfois à la Charité avec Thibaut.

Le soir, nous faisions de la physique et de la chimie dans sa chambre.

À cette chambre remonte la première étude que je fis des poisons employés par madame de Villefort, dans Monte-Cristo, étude poursuivie et achevée plus tard avec Ruolz.

À nos séances assistait presque toujours une jeune et belle voisine s’appelant de son nom mademoiselle Walker, et étant de son état marchande de modes.

Comme la poule de la Fontaine, elle faillit nous brouiller, Thibaut et moi. Heureusement, il n’en fut rien : elle trouva je ne sais plus quel biais, et nous restâmes amis tous trois.

Comme habitude de travail et comme science acquise, je dois beaucoup à Thibaut.

Je dirai plus tard comment Thibaut, dont le nom est plusieurs fois cité dans l’Histoire de dix ans, de Louis Blanc, se trouva, par ses relations avec la famille du maréchal Gérard, jouer un certain rôle dans la révolution de juillet.

D’un autre côté, selon les instructions de Lassagne, je m’étais mis à lire.

Walter Scott, d’abord.

Le premier roman que je lus signé du barde écossais, c’est ainsi que cela se disait à cette époque, fut Ivanhoe. Habitué aux doucereuses intrigues de madame Cottin, ou aux gaietés excentriques des Barons de Felsheim et de l’Enfant du Car-