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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Mais, à cette époque, Thibaut était, comme Adolphe et moi, sans le sou ; nous étions deux de ses pratiques, et de ses plus mauvaises, pécuniairement parlant.

Comment étions-nous les pratiques de Thibaut ? Ah ! voici. En 1823 et 1824, la mode était à la maladie de poitrine ; tout le monde était poitrinaire, les poëtes surtout ; il était de bon ton de cracher le sang à chaque émotion un peu vive, et de mourir avant trente ans.

Il va sans dire que nous avions, Adolphe et moi, tous deux jeunes, longs et maigres, cette prétention, à laquelle, généralement, on nous reconnaissait quelques droits.

Ces droits, je les ai perdus ; mais il faut rendre justice à Adolphe, il les a conservés ; il est aujourd’hui, à quarante-six ans, aussi long et aussi maigre qu’il l’était à cette époque, c’est-à-dire à vingt et un ans.

Thibaut savait juste tout ce que je ne savais pas.

Il entreprit mon éducation : c’était une rude tâche.

Nous passions presque toutes nos soirées ensemble dans une petite chambre de la rue du Pélican, donnant au-dessus du passage Véro-Dodat.

J’étais à cent pas du Palais-Royal, et c’était la chose la plus commode du monde pour aller faire mon courrier.

Le matin, j’accompagnais parfois Thibaut à l’hôpital de la Charité, et je faisais un peu de physiologie et d’anatomie, — quoique je n’aie jamais pu surmonter ma répugnance pour les opérations et pour les cadavres.

De là vient un certain côté de science médicale ou chirurgicale, qui m’a été plus d’une fois utile dans mes romans.

Ainsi, par exemple, dans Amaury, j’ai suivi sur Madeleine, mon héroïne, les phases d’une maladie de poitrine avec tant de vérité, qu’un jour, j’eus l’honneur de recevoir la visite de M. de Noailles, qui venait me demander d’interrompre la publication de mon roman dans la Presse. Sa fille et son gendre, malades tous deux de la poitrine, et tous deux à un degré égal, avaient reconnu dans la maladie de Madeleine les symptômes du mal dont ils étaient atteints, et tous deux, chaque