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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

léon demandait un poëte, portait la main à son chapeau, et disait :

— Présent !

C’était César Delrieu, l’auteur de la susdite tragédie.

Nous l’avons connu tous. Il était impossible d’avoir reçu du ciel, avec moins de talent, un amour-propre plus ingénu et un orgueil plus candide.

Les mots de Delrieu forment un répertoire qui n’a pas son pareil peut-être, excepté dans les archives de la famille la Calprenède.

Nous avons tous connu aussi un garçon nommé Perpignan, à qui il était arrivé toute sorte d’accidents, et qui avait fini par être censeur.

C’était lui qui allait, aux dernières répétitions des pièces, vérifier s’il n’y avait rien dans le costume des acteurs qui blessât la morale, rien dans leur geste qui provoquât au mépris du gouvernement, et au renversement de l’ordre de choses établi.

Il avait fait, dans sa vie, au Gymnase, une pièce qui était outrageusement tombée, et à propos de laquelle Poirson lui reprochait éternellement la dépense qu’il l’avait forcé de faire d’un perroquet empaillé.

Cette pièce s’appelait l’Oncle d’Amérique, et, en inscrivant Perpignan sur la liste des gens de lettres, elle le faisait, bon gré mal gré, confrère de M. de Chateaubriand comme de M. Viennet.

Hâtons-nous de dire, à l’honneur de Perpignan, qu’en général, il n’usait de cet avantage que pour se moquer de lui-même.

Enfin, il en usait !

Un soir, en montant le magnifique escalier qui conduit au foyer de l’Odéon, il rencontre Delrieu.

— Bonjour, confrère, lui dit-il.

— Imbécile ! répond Delrieu blessé.

— C’est bien comme cela que je l’entends, répond Perpignan de l’air le plus gracieux du monde.

À la reprise d’Artaxercès, que nous avons vue et que Del-