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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

vingtaine de vers éparpillés dans le courant de la pièce, et un récit à la fin.

Le récit dudit confident roulait sur la mort de son ami, condamné comme Titus, par un père inexorable.

Le commencement du récit alla à merveille ; le milieu se soutint ; mais, à la fin, l’émotion qu’éprouva l’enfant fut si violente, qu’il éclata en sanglots et s’évanouit.

Pendant cet évanouissement, le destin avait écrit sur son livre : « Enfant, tu seras artiste ! »

Dix ans après, c’est-à-dire lé 21 novembre 1787, Talma débutait au Théâtre-Français par le rôle de Séide.

La veille, il avait été faire une visite à Dugazon, et Dugazon lui avait remis un papier où étaient écrits les conseils suivants.

Je copie sur l’autographe que j’ai entre les mains :

« Visez au grand ou, du moins, à l’étonnant, dès votre premier début.

» Il s’agit de laisser des traces et de faire un appel à la curiosité. Peut-être vaudrait-il mieux frapper juste que fort ; mais les amateurs sont nombreux, et les connaisseurs sont rares. Cependant ; vous aurez tous les suffrages, si vous pouvez joindre le vigoureux au vrai.

» Ne vous enivrez point par les applaudissements ; ne vous découragez point par les sifflets.

» Les sifflets n’étouffent que les sots.

» Les applaudissements n’étourdissent que les fats.

» Prodigués sans discernement, ces derniers arrêtent le talent au bord de la carrière. Tel l’aurait fournie avec distinction, qui l’a déshonorée par des défauts qu’une juste censure eût signalés, qu’un sifflet eût punis.

» Lekain, Préville, Fleury ont été sifflés, et sont immortels.

» A. B. C. ont succombé sous la grêle des applaudissements.

» Où sont-ils ?

» Moins de moyens et plus d’étude, moins d’indulgence et plus d’obstacles, autant de gages de succès, sinon impromptus et triomphants, du moins permanents et solides.