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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Souvent Talma m’a dit que ses souvenirs les plus éloignés se reportaient à l’époque où il habitait une maison située rue Mauconseil, et dont les fenêtres donnaient sur l’ancienne Comédie-Italienne.

Il avait trois sœurs et un frère ; de plus, un cousin adopté par son père, qui exerçait l’état de dentiste.

Un jour, lord Harcourt se présente chez le père de Talma, se fait arracher une dent dont il souffrait, et il est si content de la manière dont se faisait l’opération, qu’il tourmente le père de Talma pour aller habiter Londres, où il lui promet la clientèle de toute l’aristocratie.

Le père de Talma cède aux instances de lord Harcourt, passe le détroit et va se loger dans Cavendish-square.

Lord Harcourt lit honneur à sa promesse : il achalanda richement le dentiste français, qui devint bientôt le dentiste à la mode, et qui compta le prince de Galles — depuis, l’élégant George IV, — au nombre de ses clients.

Toute la famille avait suivi son chef ; mais, tenant l’éducation française pour la meilleure de toutes, le père de Talma renvoya son fils à Paris dans le courant de l’année 1775.

Celui-ci avait neuf ans, et, grâce aux trois ans passés en Angleterre, à cet âge où tout est facile comme langue, — il parlait, en arrivant à Paris, l’anglais aussi bien que le français.

Son père avait fait choix pour lui de l’institution Verdier.

Un an après son arrivée dans l’établissement, une grande nouvelle commença de circuler.

M. Verdier, le maître de pension, avait fait une tragédie de Tamerlan.

Cette tragédie devait être représentée à la distribution des prix.

Talma avait dix ans à peine, à cette époque ; il était donc probable que, non-seulement il ne jouerait pas un des rôles principaux, mais encore qu’il ne jouerait pas du tout.

Il se trompait ; M. Verdier lui distribua un rôle de confident.

C’était un rôle comme tous les rôles de confident, avec une