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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

matin, dans un salon avec le duc, fait cacher ce dernier au bruit des pas de son mari.

Or, j’en appelle à toutes les femmes : une femme, à quelque heure du jour ou de la nuit qu’elle soit surprise par son mari, avec un homme qu’elle n’aime pas, ne fait pas cacher cet homme.

Hortense aime donc le duc, puisqu’elle le fait cacher.

Si Hortense aime le duc, elle est bien ingrate ; car il est impossible de comprendre, en voyant le mari si bon, si prévenant, si jeune sous ses cheveux blancs ; il est impossible de comprendre qu’une femme honnête aime un instant un homme aussi nul que le duc Delmas.

Aussi, avec quel accent Talma, en se levant et en traversant le théâtre, désespéré, disait-il ce vers :

Je ne l’aurais pas cru ! C’est bien mal ! c’est affreux !

Jamais le déchirement d’une âme humaine ne s’était fait jour au dehors par un pareil sanglot.

Les amateurs vulgaires, les critiques de second ordre, admirèrent surtout dans cette comédie de Casimir Delavigne un rôle de camarade de collège de Danville, joué avec beaucoup de comique par un nommé Vigny. Ce rôle est celui du vieux célibataire qui, après être resté garçon jusqu’à l’âge de soixante ans, se décide à se marier sur la peinture que lui fait Danville du bonheur conjugal, et vient justement annoncer cette décision à son ami, au moment où celui-ci est en proie à toutes les tortures de la jalousie.

Eh bien, non, cent fois non, ce n’est pas cela qu’il y avait de vraiment beau dans l’École des Vieillards. Non, ce n’est point cette scène où Danville répète sans cesse : Mais moi, c’est autre chose ! Non, ce qu’il fallait applaudir, c’était cette profonde, cette sanglante souffrance d’un cœur déchiré ; ce qu’il fallait applaudir, c’était une situation qui permettait à Talma d’être grand et simple à la fois, de montrer tout ce que peut souffrir cette créature née de la femme, et enfantée dans la douleur pour vivre dans la douleur, qu’on appelle l’homme.