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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

signature, il est ruiné. Mais qu’importe qu’il en soit réduit à la mendicité ? Il devait une tragédie, un drame, une comédie, il a payé rubis sur l’ongle ; il est vrai qu’il sera peut-être, pendant un an, deux ans, trois ans, obligé de faire au jour le jour, des économies d’esprit, de verve et d’imagination, pour arriver à la confection d’une nouvelle œuvre ; mais il y arrivera coûte que coûte, aux dépens de ses veilles, de sa santé, de sa vie, et, un jour, il mourra épuisé à cinquante-deux ans sans pouvoir terminer sa dernière tragédie.

Oh ! qu’il ne se plaigne pas, le poëte des Messéniennes, l’auteur de l’École des Vieillards, de Louis XI et de Don Juan d’Autriche ! Qui fait tout ce qu’il peut fait tout ce qu’il doit.

Et, cependant, nous persistons à le dire, Casimir Delavigne eût fait plus que cela sans cet entourage qui le comprimait ; et, la preuve de ce que nous disons, nous ne l’irons pas chercher dans ses œuvres de longue haleine ; nous la prendrons, au contraire, dans une de ces petites pièces que le poëte laisse tomber de son cœur dans un jour de mélancolie, — comme M. Arnault, qui était, non-seulement bien moins poëte, mais encore bien moins versificateur que Casimir Delavigne, l’a fait pour son adorable poésie de la Feuille.

Eh bien, nous allons chercher, dans les notes où elle est reléguée, une petite ballade que Casimir Delavigne n’a pas jugée digne d’une autre place, et que nous tenons, nous, pour un petit chef-d’œuvre.

La brigantine
Qui va tourner,
Roule et s’incline
Pour m’entraîner…
Ô Vierge Marie !
Pour moi priez Dieu.
Adieu, patrie !
Provence, adieu !

Mon pauvre père
Verra souvent
Pâlir ma mère
Au bruit du vent…