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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

En effet, cette tragédie est l’œuvre dramatique la plus remarquable de toute l’époque impériale ; aussi elle eut un prodigieux succès, fit un argent fou, et, du coup, porta, je crois, son auteur à l’Académie.

Le rôle de la reine était le second rôle que créât mademoiselle Georges, depuis son entrée aux Français, et il y avait déjà quatre ans qu’elle y était entrée.

À cette époque, on le voit, les créations tragiques étaient rares.

Son premier rôle avait été Calypso, dans une tragédie de Télémaque.

Qui avait pu faire, demandera le lecteur, une tragédie de Télémaque ?

Un M. Lebrun quelconque. Mais, ma foi ! je suis comme Napoléon, je crains de me tromper. Était-ce Lebrun-Pindare ? était-ce Lebrun l’ex-consul ? était-ce Lebrun le futur académicien, pair de France, directeur de l’imprimerie impériale ?

Je n’en sais rien.

Nais ce que je sais, c’est que le crime a été commis.

Paix au coupable, et que, mort ou vivant, il dorme d’un sommeil aussi calme et aussi profond que sa tragédie, où, à côté de Georges, mademoiselle Duchesnois joua le rôle de Télémaque, et qui tomba, malgré la réunion de ces deux talents, comme, vingt ans plus tard, tomba le Cid d’Andalousie, malgré la réunion de Talma et de mademoiselle Mars.

Quant au Cid d’Andalousie, comme nous assistions à la première représentation, nous savons quel en était l’auteur.

C’était Pierre Lebrun.

L’immense succès qu’obtinrent les Templiers fit tressaillir de joie Napoléon.

Tous les ans, il continuait de demander ses trois cent mille conscrits au ministre de la guerre, et son poëte au grand maître de l’Université.

Il crut avoir trouvé son poète dans M. Raynouard.

Malheureusement, M. Raynouard était fort occupé pendant toute la semaine, et ne pouvait être poëte que le dimanche.