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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

chacun avait pour Casimir ; sans intrigue, car tout ce petit travail ne portait préjudice à qui que ce fût au monde ; et je dirai presque sans coterie, car, pour moi, là où il y a conviction, il n’y a plus coterie.

Or, autour de Casimir Delavigne, chacun était bien parfaitement convaincu que Casimir Delavigne était le premier poëte lyrique de son époque, le premier poëte dramatique de son siècle.

Quand on n’arrivait pas à Casimir Delavigne, et qu’on était arrêté par le cordon sanitaire qui veillait, s’agitait et louangeait autour de lui, on pouvait croire que tout ce mouvement était imprimé par lui, et allait du centre à la circonférence ; mais, quand on arrivait près de lui, on ne croyait plus qu’à la simplicité, à la candeur et à la bienveillance de l’homme du talent.

Je crois que Casimir Delavigne n’a jamais haï qu’un seul de ses confrères ; mais, aussi, il le haïssait bien.

C’était Victor Hugo.

Quand l’auteur des Odes et Ballades, de Marion Delorme et de Notre-Dame de Paris fut pris de cette fantaisie étrange de devenir le collègue de M. Droz, de M. Briffaut et de M. Viennet, je me chargeai d’aller personnellement, pour lui, demander la voix de Casimir Delavigne.

Je croyais qu’une nature aussi intelligente que l’était celle de l’auteur des Messéniennes regarderait comme un devoir de sa position de faire asseoir près de lui un rival aussi illustre que l’était le candidat qui faisait à l’Académie l’honneur de lui demander un fauteuil.

Je me trompais : Casimir Delavigne refusa obstinément sa voix à Victor Hugo, et, cela, avec une véhémence et une volonté dont je l’eusse cru incapable, surtout vis-à-vis de moi, qu’il aimait beaucoup.

Ni instances, ni supplications, ni raisonnements ne purent, je ne dirai pas le convaincre, mais le vaincre.

Et cependant, Casimir Delavigne savait bien qu’il repoussait un des hommes éminents de son époque.

Pourquoi cette antipathie ? Je ne l’ai jamais su. Ce n’était