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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

une fausse modestie, une humilité feinte qui embarrassait ses ennemis et désarmait ses envieux. Comment, en effet, en vouloir de ses succès à un homme qui semblait demander à tout le monde la permission de réussir, et qui paraissait s’étonner d’avoir réussi ; à un pauvre poëète qui, s’il fallait l’en croire, n’était rien que par l’adjonction à sa faible intelligence de capacités supérieures à la sienne ; à un vainqueur tremblant qui priait, dans le triomphe, qu’on ne l’abandonnât point, comme un vaincu qui prierait qu’on lui demeurât fidèle dans sa défaite ? Aussi était-on fidèle à Casimir Delavigne jusqu’au fanatisme ; aussi mettait-on une main pleine d’émulation et de dévouement à cette gloire, dont les rayons divergents devaient, comme les flammes de l’Esprit-Saint, se diviser en autant de langues de feu que la religion casimirienne comptait d’apôtres.

Nous avons dit quels étaient les inconvénients ; voici maintenant quels étaient les avantages.

La pièce était prônée avant d’être faite, soutenue avant d’être reçue, dans les trois classes du monde auquel appartenait Casimir Delavigne par sa naissance, et je dirai même, je dirai surtout par son talent. Ainsi on avait : par Fortuné Delavigne, avoué, toutes les études de Paris ; par Gustave de Wailly, professeur, tous les étudiants du quartier latin ; par Jules de Wailly, chef de bureau au ministère de l’intérieur, tous les employés des ministères.

C’était surtout pour les intérêts à débattre avec les théâtres et avec les libraires, que cette espèce de conseil de famille était chose commode. On ne laissait Casimir s’occuper d’aucune affaire ; on le connaissait : il était si modeste, qu’il aurait donné sa pièce sans conditions aux comédiens, son manuscrit sans traité au libraire. Casimir était prévenu, sur ce point, de son incapacité ; il renvoyait libraire ou directeur à son frère Germain ; son frère Germain les renvoyait à son frère Fortuné, et son frère Fortuné traitait l’affaire en homme d’affaires.

Et remarquez bien que tout cela se faisait simplement, bonnement, naïvement, dans le dévouement et l’admiration que