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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

le spectacle de son usurpation les fit taire à Austerlitz, et, à partir de ce moment, jusqu’à la retraite de Russie, il faut le dire, les claqueurs furent pour lui.

Cependant, la littérature impériale allait son petit train.

On avait joué, en 1803, le Roman d’une heure, d’Hoffmann.

On avait joué, en 1804, Shakspeare amoureux, d’Alexandre Duval ; Molière avec ses amis, d’Andrieux, et la Jeune Femme colère, d’Étienne.

On avait joué, en 1805, le Tyran domestique et le Menuisier de Livonie, d’Alexandre Duval ; le Tartufe de mœurs, de Chéron ; Madame de Sévigné, de Bouilly ; les Filles à marier, de Picard.

Enfin, on avait joué, en 1806, les Marionnettes, de Picard ; la Jeunesse de Henri V, d’Alexandre Duval ; Omasis ou Joseph en Égypte, de Baour-Lormian, et les Templiers, de Raynouard.

Les deux plus grands succès dans cette dernière période avaient été les Templiers et la Jeunesse de Henri V,

La Jeunesse de Henri V était empruntée à une comédie fort légère du dramaturge Mercier. Cette comédie, non représentée, mais imprimée et publiée, était intitulée Charles II, dans un certain lieu.

Rien n’avait troublé Alexandre Duval, qu’un mot, un seul mot de Mercier.

Mercier était brouillé avec la Comédie-Française, qui, dans sa dignité offensée, avait juré que jamais une pièce de Mercier ne serait représentée au théâtre, de la rue de Richelieu.

Le soir de la représentation de la Jeunesse de Henri V, Alexandre Duval se pavanait au foyer.

Mercier s’approcha de lui, et, lui touchant l’épaule :

— Dis donc, Duval, fit-il, les comédiens français qui avaient dit qu’ils ne joueraient plus rien de moi, les imbéciles !

Alexandre Duval se gratta l’oreille, rentra chez lui, eut la jaunisse, et resta deux ans sans rien faire.

Au reste, le véritable succès de l’année, le succès littéraire fut pour les Templiers.