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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Sur ces entrefaites, la servante monta.

— Sans doute, j’ai mis trop de citron dans ce vin, dit le jeune homme en lui tendant le bol ; car il est si amer, que je n’ai pu le boire.

La servante y goûta ; mais presque aussitôt elle cracha ce qu’elle en avait porté à sa bouche, en disant :

— Oh ! oui… en effet, il est bien amer !

Sur quoi, elle se retira.

Les deux amis se couchèrent.

Toute la nuit, le jeune homme qui avait goûté au vin fut agité de tressaillements nerveux si violents, qu’ils ne lui laissèrent pas un instant de repos ; plusieurs fois, il se plaignit à son compagnon de ne pouvoir rester en place. Vers deux heures, il eut des coliques, et, le matin, vers trois heures et demie, le jour étant venu, il déclara qu’il ne croyait pas avoir la force de se lever ; qu’il avait les pieds en feu, et qu’il lui serait impossible de mettre ses bottes.

Quant à l’autre jeune homme, il annonça qu’il sortait pour aller faire un tour dans le parc, recommandant à son ami d’essayer de dormir pendant ce temps-là.

Mais, au lieu d’aller se promener dans le parc, celui que sa visite près du domestique malade pouvait faire passer pour un médecin, prenant une voiture, retournait à Paris, achetait chez M. Robin, rue de la Feuillade, douze grains, et chez M. Chevalier, autre pharmacien, un demi-gros d’acétate de morphine, qu’il se faisait livrer en sa qualité de médecin.

À huit heures, c’est-à-dire après quatre heures d’absence, il rentrait à l’hôtel de la Tête-Noire, et demandait du lait froid pour son ami.

Le malade ne se sentait pas mieux ; il but la tasse de lait préparée par le jeune médecin, et presque aussitôt il fut pris de vomissements qui se succédèrent avec rapidité.

Bientôt des coliques le saisirent. Chose étrange ! malgré cette aggravation de la maladie, le docteur, de nouveau, laissa le malade seul, sans faire aucune ordonnance, sans paraître s’inquiéter d’un état qui inquiétait les étrangers.

Pendant son absence, la maîtresse de l’hôtel et la bonne