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Un voile, comme ils font aux images de pierre ;
La vieillesse est aveugle ! Oh ! je te reconnais !
Je rentre dans la vie… Oui, mon fils, je renais !
Ô dieu lare, pourquoi ton funèbre présage ?
Oui, voilà bien son pas, son regard, son visage,
Son maintien de héros, son geste triomphant !
Brutus, mort sous mes yeux, revit en son enfant !
Mes pleurs réjouiront ma paupière ridée !…
Dis, quel heureux destin t’a conduit ?

brutus.

 Une idée.
Le temps est précieux ; le premier rayon d’or
Luit sur le fronton blanc de Jupiter Stator.
Il faut agir ! Apprends que, dans Rome, j’épie
Les cyniques projets de cette race impie,
Et qu’elle nous prépare un crime de l’enfer,
Rêvé par l’Euménide en sa couche de fer.
La ville de nos dieux par le crime est gardée ;
Le sénat dort ; Tarquin fait le siège d’Ardée ;
La justice se voile et marche d’un pas lent ;
Sextus règne au palais ! Sextus !… un insolent !
Entouré nuit et jour de ses amis infâmes,
Braves comme Ixion pour insulter les femmes !
Ne laissant, sous le chaume ou le lambris doré,
Dans une alcôve en deuil, qu’un lit déshonoré !
Ce matin, éveillé, l’aube luisant à peine,
J’ai vu Sextus assis sous la porte Capène.
Il parlait, l’imprudent ! et ne se doutait pas
Du fantôme éternel qui brûle tous ses pas !
Donc, j’ai su qu’il attend que Rome tout entière
S’éveille, et qu’un esclave apporte sa litière.
Je ne puis en douter : un obscène souci,
Avant le grand soleil, doit le conduire ici.

faustus.

Ici ?

brutus.

 Dans ta maison quel dieu jaloux amène,
Par ce sentier désert, une dame romaine ?