Page:Dumas - Mes mémoires, tome 4.djvu/316

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
313
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

avec Messaline ; mais, enfin, je soutenais que l’œuvre, toute dépourvue qu’elle était d’imagination et de drame, méritait d’être écoutée à cause de la forme, lorsque Méry dit :

— Moi, je propose de faire une Lucrèce, et de la faire jouer avant que la Lucrèce de Ponsard soit jouée elle-même. On l’annonce pour le 25 du mois ; — nous sommes le 22 ; — elle ne sera jouée que le 30. C’est plus de temps qu’il n’en faut pour faire deux mille vers, pour les lire, les distribuer, les répéter et les jouer.

— Combien vous faut-il pour faire la tragédie ? dis-je à Méry.

— Dame ! à quatre cents vers l’acte, cinq actes, c’est cinq jours.

— Ainsi, demain au soir, vous pourriez nous donner le premier acte ?

— Demain au soir, oui.

Nous prîmes rendez-vous pour le lendemain au soir, sans compter aucunement sur le premier acte de Lucrèce.

Le lendemain, tout le monde était exact au rendez-vous. Nous nous transformâmes en comité de lecture. On apporta un verre d’eau à Méry. Il s’assit à la table ; nous fîmes cercle à l’entour. Il tira son manuscrit de sa poche, toussa, trempa l’extrémité de ses lèvres dans l’eau, et lut les scènes suivantes.

Il n’avait pas fini l’acte parce qu’il avait été dérangé ; mais il offrait de terminer, séance tenante, ce qu’il en manquait.

LUCRÈCE
tragédie

Scène PREMIÈRE.

La maison de l’aruspice Faustus, c’est-à-dire une vaste treille à mi-côte du mont Quirinal. À gauche, la façade d’une maison en briques rouges ; devant la porte, un autel supportant un dieu pénate en argile ; an pied du Quirinal, dans un fond lumineux, le Champ de Mars bordé par le Tibre.
faustus, seul, à l’autel de ses dieux.

Dieu pénate d’argile, ô mon dieu domestique !
Un jour, tu seras d’or, sous un riche portique,