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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

d’artifice. Méry — et j’abandonne ici la comparaison — sait tout ou à peu près tout ce qu’on peut savoir. Il connaît la Grèce comme Platon, Rome comme Vitruve, l’Inde comme Hérodote ; il parle latin comme Cicéron, italien comme Dante, anglais comme lord Palmerston.

Mélomane au premier chef, un jour qu’il disputait avec Rossini :

— Tenez, dit-il à l’auteur de Moise et de Guillaume Tell, laissez-moi tranquille, vous n’entendez rien à la musique !

Et Rossini lui répondit :

— C’est vrai.

L’homme le plus spirituel a ses bons et ses mauvais jours, ses lourdeurs et ses allégements de cerveau. Méry n’est jamais fatigué, Méry n’est jamais à sec. Quand, par hasard, il ne parle pas, ce n’est point qu’il se repose, c’est tout simplement qu’il écoute ; ce n’est point qu’il est fatigué, c’est qu’il se tait. Voulez-vous que Méry parle ? Approchez la flamme de la mèche et mettez le feu à Méry, Mery partira ! Laissez-le aller, ne l’arrêtez plus ; et, que la conversation soit à la morale, à la littérature, à la politique, aux voyages, qu’il soit question de Socrate ou de M. Cousin, d’Homère ou de M. Viennet, de Napoléon ou du président, d’Hérodote ou de M. Cottu, vous aurez la plus merveilleuse improvisation que vous ayez jamais entendue.

Puis, — chose incroyable ! — au milieu de tout cela, jamais une médisance sur un ami !

Si Méry a touché le bout des doigts d’un homme, tout le corps lui est sacré.

Et, en effet, qui rend l’homme méchant ? L’envie ! Que voulez-vous qu’envie Méry ?

Il est savant comme l’était Nodier ; il est poëte comme nous tous ensemble ; il est paresseux comme Figaro, spirituel comme… comme Méry ; c’est à mon avis une très-belle position en littérature.

Quant à la facilité de Méry, elle est devenue proverbiale ; j’en citerai deux exemples.

Un soir du 31 décembre, où l’on parlait de cette facilité, et