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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Méry et Barthélemy allèrent chez tous les libraires de leur connaissance, offrant leur poëme ; chacun de ceux auxquels ils s’adressaient acceptait d’abord, puis lisait un chant ou deux, puis rendait le manuscrit en secouant la tête, et en disant :

— Édite votre poëme qui voudra, ce ne sera pas moi !

Les deux collaborateurs reprenaient leur manuscrit, et faisaient près d’un autre libraire une nouvelle tentative qui avait le même résultat.

Quand on eut épuisé la liste des libraires connus, on passa aux imprimeurs avec lesquels on avait eu des relations.

Les imprimeurs étaient dans la situation des libraires. Ils craignaient, comme nous l’avons dit, l’amende, la prison, le retrait de leur brevet : ils refusèrent.

C’était triste de rester avec cinq ou six mille vers sur les bras. Et quels vers ! Des vers qu’un mois après, la France entière devait savoir par cœur.

Méry proposa de faire une nouvelle tentative près d’un imprimeur tout à fait inconnu. C’était un remède désespéré ; mais les remèdes désespérés sauvent parfois le malade.

On ouvrit un Annuaire de la librairie, pour y chercher un nom d’imprimeur qui, par l’assemblage de ses lettres, sa signification ou sa consonnance, donnât quelque espoir aux yeux ou à l’oreille des deux poëtes.

Il y avait un imprimeur qui se nommait Auguste Barthélemy ; il demeurait rue des Grands-Augustins, no  10.

Le nom parut de bon augure aux deux auteurs. Ils reprirent leur manuscrit, et se présentèrent chez M. Barthélemy.

Ils trouvèrent un grand jeune homme, au front intelligent, au regard doux mais ferme, à la figure ouverte et bienveillante.

Ils lui exposèrent leur embarras.

— Votre œuvre est donc une œuvre d’opposition ? demanda-t-il.

— Oui, monsieur.

— Très-vigoureuse ?

— Trop vigoureuse, à ce qu’il paraît.