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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

oubliés et qui, cependant, à une certaine époque, causèrent dans la société des oscillations éteintes dans tous les souvenirs depuis que l’équilibre s’est rétabli.

M. Éliça Gallay était inspecteur de l’université.

Un jour, il arriva à Marseille, et fit, comme d’habitude, un discours au collège royal.

Dans ce discours, on remarquait cette phrase que nous reproduisons textuellement dans son sens, sinon dans son texte :

« Messieurs, il faut avoir deux poids et deux mesures. Quand un élève sera royaliste et religieux, il faut lui tout pardonner ; quand il sera libéral, il faut être envers lui de la plus grande sévérité. »

L’emploi de ces deux poids et de ces deux mesures, qui eut un grand retentissement dans les journaux du temps, révolta Méry : il fit contre M. Éliça Gallay une brochure un peu vive, à ce qu’il parait, et cette brochure, comme nous l’avons dit, valut à son auteur huit mois de prison.

Méry n’avait à Marseille aucune ressource ; il avait le commerce en antipathie, il faisait des vers avec la plus grande facilité, et il jouait aux dames en joueur de première force.

Il ne fallait pas penser au commerce, il ne fallait pas compter sur la poésie : Méry résolut donc d’utiliser le jeu, qui, porté au point où il le possédait, devient un art.

Il partit pour Paris dans l’intention d’y vivre en jouant aux dames.

Il y arriva à vingt et un ans, se logea rue des Petits-Augustins, no  11, chez madame Caldairon, avec Achille Vaulabelle, l’auteur des Deux Restaurations, et commença une existence partagée entre l’étude de la géologie sous Cuvier, et le perfectionnement du jeu de dames, avec les premiers amateurs du café Manoury.

Il jouait donc aux dames au café Manoury, et étudiait la géologie au Jardin des Plantes.

En jouant à dix sous la partie, — jamais davantage, — Méry se fit, pendant un an, un revenu de dix francs par jour.

D’un autre côté, il ne manquait pas une leçon d’anatomie