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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

celui-ci le menaça énergiquement d’un procès-verbal en cas de récidive.

Morrisel était invité à dîner pour le dimanche suivant au château de madame Regnault de Saint-Jean-d’Angely, situé de l’autre côté du territoire prohibé.

Le dimanche suivant Morrisel, de peur de passer inaperçu sur le susdit territoire, prend le bedeau, le serpent et les quatre chantres, en fait un immense six de carreau, se place au milieu, et traverse le territoire de Frépillon, chassant avec accompagnement de chant grégorien.

Il arriva chez madame Regnault de Saint-Jean-d’Angely, suivi de tout le village, dont cette manière de chasser, inusitée jusqu’alors, avait vivement excité la curiosité.

Le pauvre Morrisel trépassa à la suite d’une maladie cruelle. Malgré la sonde, malgré la pierre infernale, malgré Civiale, malgré Pasquier, malgré Dupuytren, il en était arrivé à boire très-bien, mais à ne pouvoir, une fois absorbée, rendre une seule goutte de la liqueur qu’il avait bue.

On prolongea sa vie à force de transpirations.

Enfin, un jour, ne comprenant pas très-bien ce que les médecins lui disaient sur sa maladie, il demanda si l’on ne pourrait pas, avant qu’il mourût lui-même, se procurer à un hôpital quelconque un sujet mort de la maladie dont il allait mourir.

Les médecins lui dirent que c’était possible, et se mirent en quête.

Trois ou quatre jours après, ils vinrent lui dire que le sujet était trouvé.

Morrisel l’acheta au prix ordinaire, — six francs, je crois, — fit apporter le cadavre près de son lit, le fit coucher sur une table, et pria un des docteurs d’en faire l’autopsie.

L’autopsie faite, Morrisel eut la satisfaction de se rendre exactement compte de la maladie dont il était atteint, et, content désormais, s’apprêta à mourir tranquille, opération qu’il accomplit, il faut le dire, avec un merveilleux courage.

Pour en revenir à l’ara de la rue des Martyrs, quinze jours après, en revenant chez le colonel Bro, pour une chasse pareille