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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Et toi, Changeur, mon ami, tu entends, de première classe ! tout ce qu’il y a de mieux ! il n’y a rien de trop beau pour M. le baron de B*** !

Et il abaissa ses lunettes, prit son parapluie, et sortit.

La querelle avait fait grand bruit. Le lendemain, dès midi, le café Français était encombré de curieux qui désiraient savoir ce qui s’était passé, surtout ce qui se passerait.

À une heure, Morrisel arriva comme d’habitude, ses lunettes sur le nez, son parapluie à la main.

Tout le monde s’ouvrit devant lui.

Morrisel salua avec sa courtoisie ordinaire, alla prendre sa place accoutumée, et appela Changeur.

Celui-ci accourut.

— Changeur, dit-il, mon café.

Changeur s’empressa de servir Morrisel.

Morrisel faisait flegmatiquement fondre son sucre jusqu’au dernier atome, lorsque M. le baron de B*** entra au café.

Il s’avança vers Morrisel, qui releva ses lunettes et répondit, le sourire sur les lèvres, au salut de son adversaire.

— Monsieur le comte, dit le baron, lorsque je vous provoquai hier, je n’étais point à jeun ; aujourd’hui, je vous fais mes excuses, veuillez les accepter. J’ai fait mes preuves, et je puis vous parler ainsi, sans que mes paroles nuisent à ma réputation.

— Cela vous regarde, monsieur le baron, dit Morrisel.

Puis, se retournant vers Changeur :

— Changeur, allez dire aux pompes funèbres que l’enterrement de M. le baron est remis indéfiniment.

— C’est inutile, dit Changeur ; j’avais cru pouvoir me permettre d’attendre. Voici le billet, colonel.

— Alors, mon ami, demandez mon compte au maître de l’établissement.

Changeur s’approcha du comptoir, et revint avec une note détaillée.

— Ah ! dit Morrisel en abaissant ses lunettes, neuf cents francs ! Tenez, Changeur, voici un autre billet de cinq cents francs, la différence est pour le garçon.